L’aviation à fleur de peau
Il est parti une nuit de Noël, sans bruit, laissant derrière lui un siècle de mémoire aéronautique, constitué de photos, de cartes postales, de timbres, de livres, de revues, d’articles glanés au jour le jour. Je le revois encore, arpentant à grandes enjambées les allées du salon du Bourget, à la recherche des plaquettes publicitaires de constructeurs du monde entier.
L’aviation fut toute sa vie, privée et publique. Il avait fait de sa passion son métier, abordé tous ses domaines techniques et gravi tous les échelons d’une carrière débutée en 1946 au secrétariat général à l’Aviation civile et commerciale et achevée en 1990 à la direction générale de l’Aviation civile.
Agent de la circulation aérienne en 1946, contrôleur de la navigation aérienne à Fort-de-France puis à Madagascar, commandant d’aérodrome en Indochine en 1954 puis en Nouvelle-Calédonie en 1956, il rejoignit la métropole en 1959, au service technique de la navigation aérienne pour y traiter des questions de bruit, de péril aviaire et de boîtes noires. Devenu ingénieur des travaux puis ingénieur de la navigation aérienne, il fut chargé en 1974 des hélicoptères à la direction des programmes aéronautiques civils, puis nommé conseiller du directeur général Claude Abraham et enfin expert à l’OACI pour les questions de bruit.
J’ai fait la connaissance de Vital Ferry au début des années 2000, lorsque j’ai créé à l’inspection générale la mission mémoire de l’aviation civile. Vital et son ami Robert Espérou, haut fonctionnaire qui avait dirigé les Transports aériens, furent mes premiers interlocuteurs. Tous deux retraités mais restés très attachés à l’Administration dans laquelle ils avaient servi, et passionnés de tout ce qui touche à l’aviation, ils hantaient les locaux du musée de l’Air et de l’Espace et les salons de l’Aéro-club de France et s’immergeaient de longues heures dans les archives de la DGAC.
Parfaitement complémentaires, ils avaient l’un pour l’autre une grande estime et ne publiaient rien qui n’ait été au préalable soumis à la lecture critique de leur ami. Ils furent pour moi des mentors précieux dans ma tentative de transmettre un peu de la mémoire de l’aviation civile, non pas celle des compagnies ou des pilotes de légende, mais celle des coulisses de l’aéronautique, moins courue des historiens : je veux parler des aérodromes, de la formation des pilotes et du contrôle de la navigation aérienne.
Cette activité mémorielle, que les institutions évoquent souvent mais pratiquent peu, fut un temps prolifique à la DGAC, en particulier grâce au soutien inconditionnel d’un autre passionné irréductible, j’ai nommé Patrick Gandil, qui dirigeait alors le service.
Vital Ferry préférait la sincérité à la diplomatie. Aussi exigeant avec lui-même qu’avec autrui, il s’irritait des approximations historiques et des raccourcis journalistiques. L’essentiel, pour lui, était de rendre justice à ceux, grands et petits, qui avaient un siècle durant façonné l’aviation. Toute démarche en ce sens, d’où qu’elle vint, lui paraissait louable et il permettait sans aucune réticence ni contrepartie l’utilisation sans limite de ses collections.
Sa générosité allait de pair avec une grande modestie, voire un refus de la lumière. Et Robert Espérou évoquait parfois, à mots couverts pour respecter la pudeur de son ami, son comportement de jeune Lorrain durant l’Occupation ainsi que ses actes de courage lors de son affectation en Indochine.
Vital Ferry a publié de nombreux ouvrages, touchant souvent à des sujets mal connus, tels que l’aviation en Afrique avant-guerre, l’Aviation populaire de 1936, les aviateurs de la France libre, la formation aéronautique et le transport aérien en Afrique noire francophone de l’après-guerre. Il participait également à de multiples revues aéronautiques, en particulier au Trait d’union et bien sûr à Icare. Et il a continué tant qu’il l’a pu à se rendre le mardi après-midi au musée Air France pour dispenser ses conseils à des chercheurs moins au fait que lui de l’histoire ancienne de la compagnie nationale.
J’ai beaucoup apprécié la personnalité complexe de Vital Ferry, mélange atypique d’intransigeance et de bienveillance. A l’heure de son départ, je souhaite simplement que l’on se souvienne de lui comme d’un homme de cœur, qui eut la chance de faire coïncider sa vie entière avec sa passion, l’aviation, et qui sut contribuer à sa mémoire.
Pierre Lauroua (Anafacem IDF – Association nationale des anciens fonctionnaires de l’Aviation civile et de Météo-France)
Membre de l’Académie de l’Air et de l’Espace, créateur de la mission mémoire de l’aviation civile
NDLR :Vital Ferry (Anafacem IDF) nous a quittés le 24 décembre 2021, il était né le 16 janvier 1925 (voir le tome 1 de La mémoire des anciens de l’aviation civile et de la météorologie page 65)